CULTURE

Théâtre : le Crépuscule du Che

Une joute oratoire et une dialectique de choc entre deux comédiens magnifiques, Olivier Sitruk et Jacques Frantz ! Un décor sobrement suggestif, entre ombre et lumière, à l’image de l’homme le Che, que l’auteur de la pièce José Pablo Feinmann tente d’appréhender…

Le dimanche 8 octobre 1967, dans la petite école du village de La Higuera, province de Chuquisaca en Bolivie, le Che vit ses dernières heures puisqu’il va être exécuté. Nous savons que l’icône de la Révolution, Ernesto Rafael Guevara de la Serna y a été assassiné, sans autre forme de procès, par la dictature bolivienne et la CIA. Des pages et des pages ont été noircies sur la vie du Che mais de ses derniers instants, on ne sait rien ou presque rien. José Pablo Feinmann, écrivain argentin engagé tente d’éclaircir le mystère du crépuscule du héros, dans un dialogue sans concession entre le Che et un personnage, jouant tour à tour le rôle du journaliste/enquêteur et de Fidel Castro. Le journaliste Jacques Frantz, belle voix totalement adaptée, accuse ! Oui, le Che a constitué des tribunaux révolutionnaires et fait exécuter les collaborateurs de Bastita. Oui, le Che n’est pas le Christ révolutionnaire ; il a du sang sur les mains. Cependant, la répartie du Che, incarné par un Olivier Sitruk admirable de beauté, de fragilité et de conviction, a son poids : les hommes qu’il a fait exécuter étaient des tortionnaires n’hésitant pas à supprimer des femmes et des enfants. Aurait-il fallu laisser vivre ces tortionnaires qui essayaient de reprendre le pouvoir par la terreur et le crime ? Ne fallait-il pas protéger la Révolution ? Et, de citer Hegel : « L’Histoire ne se fait pas sans violence. ». Peut-on mettre sur le même pied d’égalité un peuple qui se défend et des privilégiés égoïstes qui pillent les richesses d’un pays, affament et exploitent ceux qu’ils ont transformés en esclave ? Où est l’agression ? Chez ceux qui tentent de se défendre et de se libérer ou bien chez ceux qui ravagent le corps des autres en les usant, les affamant et les supprimant lorsqu’ils sont devenus inutiles à la production ? Tenter de tuer en l’homme tout ce qui touche à sa dignité et à son humanité, n’y a-t-il pas là, violence toute aussi grande que celle d’ôter une existence ? « Un colonisé qui tue un colonisateur, est un colonisé qui se libère ! » disait Sartre.

La mise en scène de Gérard Gelas et l’adaptation de Marion Loran nous donnent à voir du théâtre intelligent, susceptible de nous plonger dans une véritable réflexion sur la réalité et l’utilité de la Révolution qui, à l’évidence, ne peut être réduite au marxisme… Du bon théâtre comme on aimerait en voir plus souvent, des comédiens remarquables et un texte d’une grande qualité littéraire, plus que jamais éclairant dans nos sociétés en perdition… A ne pas manquer ! *

 

Le Petit Montparnasse, 31 rue de la gaîté 75014 Paris.Tél : 01 43 22 77 74. 

 

Lydie-Léa Chaize, journaliste

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